Okay, défi numéro deux à la con. Le premier, t'as chipé des fringues de ta frangine, et là...là tu dois t'surpasser, genre, vraiment, faire un gros gros effort, t'peinturlurer la face de maquillage, lèvres rouges pétant, fard à paupières bleu clair... Et surtout, les fringues, trop féminines à ton goût, bon rien de rose bonbon encore heureux, mais une robe qui fait que tu n'te sens pas à l'aise. Musique de Barbie Girl sur ton portable, t'as plus qu'à aller te balader en ville, à te trémousser sur cette chanson, à chanter en même temps, bref le cauchemar.
Toi qui d'habitude est si souvent à l'aise, cette fois c'est tout le contraire, mais eh, si tu peux fièrement représenter ta « confrérie » alors tu n'vas pas hésiter longtemps, au fond tu t'en fous pas mal si la vidéo tourne sur internet, on pensera peut-être que t'as un peu forcé sur l'alcool mais c'est tout.

D'ailleurs après cette journée, tu penses bien aller te mettre la tête à l'envers dans un bar, histoire d'oublier ce défi, encore faudrait-il que tu croises quelqu'un de Princeton pour t'accompagner dans cette soirée de débauche, m'enfin tu verras bien.

Te voilà dans une rue, passante en prime, pas loin du campus, devant une multitude de boutiques, petite enceinte accrochée à ton sac, tu lances Barbie Girl de Aqua, assez fort pour qu'on se tourne vers toi, qu'on te siffle parce que t'es canon comme ça. Et voilà que tu t'mets à chanter, à danser, à la recherche de ton Ken.

D'accord t'as pris un peu d'courage liquide. Pour avoir chaud, pour t'sentir moins vulnérable, ou plus, tu sais pas trop. Qu'on t'juge pas, t'es encore jeune t'as l'droit de t'amuser non ? Des gens ont fini par t'filmer, à tous les coups tu vas finir sur YouTube, mais tu prends l'risque, et au moins toi tu t'amuses, pas comme tous ces coincés du cul à Princeton. D'accord t'es d'cette université aussi, mais dans le meilleur des collège, les Rockefeller qu'tu veux rendre fiers de t'avoir dans leur rangs. Pas comme ces coincés de Whitman. Quand tu penses que t'es pote avec l'une d'entre eux, les autres sont pas censés le savoir, c'est dans l'privé que vous vous entendez bien.

T'en étais où ? À quel couplet ? Ah ouais, come on, Barbie, let's go party, y'a d'vieilles personnes qui se sont tournées vers toi, choquées par tes propos, cette tenue qui n'est clairement pas faite pour toi. Quoi on a plus l'droit d'se vêtir comme on veut ? Pourtant pendant Halloween tout est permis, t'en as vu des filles avec des robes ou des jupes plus courtes que c'que tu portes en c'moment. Tu t'retrouves au milieu d'la route sans trop savoir comment t'as fini là, t'étais à fond dans ta chanson, la tête ailleurs, l'envie d'te retrouver plus tard dans un bar, et pas solo s'il vous plaît. On te tire. On t'retiens par la main et te revoilà sur l'trottoir. Tu l'connais pas, ptêt de vue, ou ça t'dit rien. Mais il a la carrure du Ken que tu cherchais.

« Ken mon amour, allons en soirée ! » tu t'exclames, hilare, bon, d'accord t'es légèrement éméchée, so what ? Tu t'es agrippée à son cou, toi qui cherchais ton Ken depuis que tu t'es mise à chanter, y'a cette douce lueur dans ton regard lorsque tu observes le garçon. « On se serait pas déjà vus quelque part ? »

Bon tu l'avoue, si tu joues à ce petit jeu c'est surtout pour pas t'payer la honte de ta life. Les gens mettront ça sur le compte de l'alcool alors que c'que tu as bu c'est juste une petite bière avant d'sortir, c'est tout. Mais ton petit manège fait son effet sur les gens, certains rigolent sur ton passage, d'autres sont vraiment choqués, se plaignent, ça va tu fais que chanter et bouger ton popotin sur une musique encore plus vieille que toi. Qu'est-ce qu'ils ont tous à tirer des têtes d'enterrement franchement ? Plus personne ne sait s'amuser ou quoi ?

Et lui, ce garçon qui n'a rien de Ken, il a quoi ? Un Whitman à tous les coups pour être aussi coincé du cul que Leo, ou si ça s'trouve il n'est même pas de Princeton. Tu l'as juste confondu avec quelqu'un d'autre, ça va, ça arrive à tout le monde non de se tromper ? Il t'rembarre gentiment et ça t'fait sourire, tu t'mordilles la lèvre inférieure même, signe qui montre que t'es amusée mais à la fois frustrée. Tout ça pour un foutu défi. « Roh, t'es pas drôle. » tu lui réponds quand il te tournes le dos, quand il s'éloigne sous les lampadaires qui éclairent le trottoir, qui éclaire cette nuit trop calme à ton goût.

T'aimes pas quand on te plante comme ça, d'habitude c'est toi qui le fait, c'est toi qui préfère la solitude parfois, parce que c'est bien d'être toute seule, comme ça t'as aucun comptes à rendre à qui qu'ce soit. Les seuls que tu supportes vraiment, c'est ton jumeau, ta frangine et son jumeau, Neva, Mee' et Leo. C'est tout. Après les autres, se sont d'parfaits étrangers pour toi, qui n'valent pas la peine d'entrer vraiment dans ta vie. Mais t'es frustrée là, vexée même. Peut-être que c'est à cause de ta tronche maquillée qui plaît pas, peut-être parce que là, c'pas vraiment toi.

« Hey attends ! » tu lui cours après, et t'arrive facilement à sa hauteur, sourire plus doux qui illuminerait presque ton visage. « Désolée pour tout à l'heure, va pas croire que j'voulais t'sauter dessus, j'suis pas comme ça. Laisse moi au moins me présenter, une chance d'me racheter ? » tu finis par lui demander, plus doucement, tendrement. Au revoir le masque de la jolie blonde alcoolisée.

Il est mignon, ptêt un poil plus jeune que toi, visiblement crevé par tu ne sais quel exercice physique, mais quand il te dit qu'il vient de Forbes college et que du coup tu captes que lui aussi est à Princeton, tu t'dis que t'es tombée sur un sportif. Qui dit sportif dit faire attention à c'qu'il mange, pas forcément d'alcool et encore moins de drogues ou de clopes. Tout l'contraire de toi en somme. Et c'est ça qui titille ta curiosité, voir s'il laissera de côté ses principes et qu'il sera prêt à te suivre jusqu'au bout de la nuit, ou si au contraire il va encore t'envoyer bouler, et là tu repartiras bredouille sans ton Ken de la soirée. T'as aucune idée derrière la tête, tu veux juste élargir ton cercle de connaissance, même si ça fait des années que t'es à Princeton, mais des potes mecs, t'en as pas vraiment.

« Moi c'est Murphy, Rockefeller comme tu as pu le deviner. » pas bien compliqué de capter que t'es pas chez les Whitman ou une autre maison, non toi t'as la fête dans l'sang, le rythme dans la peau et l'envie d'faire des soirées n'importe quel jour de la semaine. Et pourtant t'arrive à gérer ça plus les études, faut l'faire quand même pour ne pas arriver en cours avec une belle gueule de bois. « Écoute, j'veux juste m'faire pardonner, j'te paie un café et on continue nos vies chacun de son côté ? »

« Hey, j'suis pas bourrée, pas encore, quand faut jouer un rôle, j'suis plutôt douée pour ça. » rire nerveux, c'est vrai quoi, t'as juste bu une bière et c'est clairement pas ça qui t'met ko, il t'en faut beaucoup plus et encore tu tiens bien la route, contrairement à d'autres. Ça arrive même souvent que les autres s'écroulent avant toi. Donc ouais la plupart du temps en soirée tu t'ennuies un peu, tu cherches toujours un nouveau challenge, un adversaire qui a la même descente que la tienne et qui peut tenir le rythme toute la nuit. Pas forcément pour finir dans le même lit, c'est d'ailleurs pas c'que tu recherches en priorité, plus d'humeur fêtarde qu'autre chose. Et parfois, les mecs, ça les frustre.

Puis il t'sort aussi qu'il aime les challenges, ça tombe bien t'en es un à toi toute seule, ptêt même un trop gros challenge, ou encore trop nocive pour les autres... c'est à t'poser des questions parfois, même trop souvent. Ta petite sœur qui s'est barrée du jour au lendemain sans t'prévenir, puis ton jumeau qui est parti à l'armée, à croire que tu fais fuir les gens. Mais pas ce soir, faut que ça change, que la roue tourne un peu, qu'on t'laisse la chance d'te laisser apprivoiser, qu'on t'laisse une chance d'laisser entrer quelqu'un d'nouveau dans ta vie chaotique.

« Te moques pas, c'était pour un défi, tout comme quand j't'ai appelé Ken, d'habitude j'suis plus du genre à éviter ce genre de conneries, mais je t'avoue que j'me suis bien marrée. J'avoue que la jupe est un peu trop courte et que j'me sens conne dans ces fringues, mais je joue le jeu. » tu lui souris, retenant même un rire nerveux quand tu t'vois dans le reflet d'une boutique fermée. « Rah ouais, c'est affreux même. »